« On veut des gens qui nous protègent, ils nous ont menacés de mort », s’inquiète Aïcha devant son pas-de-porte. « Ils ont menacé de revenir pour brûler ma maison. Ce n’est pas possible, on est ici chez nous », réclame encore cette habitante de Tsoundzou à Mayotte, qui dit ressentir de la « terreur » après avoir été prise à partie par des jeunes. Depuis quelques jours à Tsoundzou, les policiers du RAID aidés par la compagnie CRS 8 et des policiers locaux tentent de déloger et de détruire des barrages construits par des jeunes et procéder à leurs interpellations.
Selon le ministère de l’Intérieur, 1 800 policiers et gendarmes ont été dépêchés sur ce petit archipel de l’océan Indienpour vider les bidonvilles de leurs occupants illégaux, la plupart des migrants venus des Comores voisines. L’objectif de cette opération baptisée « Wuambushu » (« reprise » en Mahorais), « c’est (qu’il n’y ait) plus de bidonvilles à Mayotte », a insisté le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, estimant que ceux-ci sont « dangereux pour les gens qui y vivent et pour leur santé ».
« Les jeunes se sont regroupés, ils ont fait des barrages que l’on a dû réduire les uns après les autres, a raconté le Commissaire divisionnaire Laurent Simonin, chef de la police à Mayotte. Et on avait peur que les maisons qui sont derrière moi soient attaquées par les jeunes pour les piller ». « On n’arrêtera pas » les opérations contre la délinquance et les bidonvilles, a martelé Thierry Suquet, devant le refus des Comores d’accueillir un premier bateau chargé de rapatrier des migrants illégaux.
Selon l’Insee, près de la moitié des 350 000 habitants estimés de Mayotte ne possède pas la nationalité française. Les migrants venus des Comores voisines sont accusés par la population et les élus de déséquilibrer le peu d’infrastructures et de ressources de l’île et de nourrir la délinquance.
Dans les bidonvilles menacés de destructions, habitants et représentants de l’État se préparaient à la première opération d’expulsion, prévue mardi à 6 heures (3 heures GMT). À Koungou, village du nord de l’île de 40 km de long, 85 familles sont sous le coup d’une expulsion dans le quartier de « Talus 2 », enchevêtrement de tôles bleues et grises, accroché à une colline, où plus d’une centaine de familles vivent dans des conditions précaires. Des marquages ont été apposés sur 20 habitations qui seront épargnées, a expliqué Psylvia Dewas, coordinatrice des opérations de décasage, tandis que les futurs expulsés sont invités par les associations à venir organiser leurs hébergements d’urgence, mis à disposition pour une durée de 21 jours. « Je dormirai dehors, quelque part sur une terrasse si quelqu’un veut bien, si personne ne veut et bien je ne sais pas, je prendrai ma natte pour m’installer sur la route et dormir », a raconté l’une des habitantes, Mariam Ali M’Hadji, 53 ans, en attente d’être prise en charge par les associations.
L’inquiétude de la Défenseure des droits
Plusieurs organisations, dont la Ligue des droits de l’homme, se sont inquiétées que « la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables ». La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a demandé à Beauvau de renoncer à l’opération, face aux risques « d’aggravation des fractures et des tensions sociales » à Mayotte, et « d’atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères ». « Les actions annoncées (…) m’inquiètent tout particulièrement », a déclaré la Défenseure des droits Claire Hédon, qui a annoncé la présence de quatre de ses délégués sur place.
« On ne peut pas respecter les droits des personnes en les considérant comme une masse informe », a fait valoir Flor Tercero, responsable des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), une délégation de robes noires mandatées par des barreaux métropolitains pour mener une mission d’observation de l’opération.
L’association Droit au logement (DAL) a également appelé ce dimanche à stopper « Wuambushu ». Cette opération « d’une ampleur inédite en France depuis un siècle », selon le DAL, risque de « briser des familles » et de les jeter « dans la grande misère ». Dans son communiqué, le DAL appelle à l’arrêt de cette opération « anti-pauvres » et qui « confirme une nouvelle régression des politiques du logement des classes populaires : on résorbe l’insalubrité non plus en relogeant les habitants de quartiers informels, mais en les stigmatisant pour mieux justifier leur expulsion ».
Les deux députés de Mayotte, Estelle Youssouffa (Liot) et Mansour Kamardine (LR), ont au contraire apporté leur « soutien » à l’opération controversée, la première voyant dans les bidonvilles des « foyers d’insécurité, de violence, qui abritent les trafiquants et les gangs ».
Les autorités des Comores qui revendiquent toujours leur souveraineté sur Mayotte, restée française après l’indépendance des Comores en 1974, sont opposées à cette opération.