« Cela fait deux ans, sept mois et huit jours que Saidou n’est plus là. » Boubou a continué son triste décompte depuis que nous l’avons rencontré, début mars. En juillet 2020, ce père de famille du quartier des Mazières, à Draveil (Essonne), a perdu son fils âgé de « 15 ans et demi » dans une rixe entre bandes. En visio, il a accepté de se remémorer cette journée tragique durant laquelle Saidou a perdu la vie pour un motif insensé : vivre aux Mazières et non aux Bergeries, l’autre cité de Draveil distante de quelques kilomètres.
Ce 29 juillet 2020, vers minuit, l’adolescent profite d’une douce soirée d’été sur le terrain de basket des Mazières. « Il a demandé à un copain de l’accompagner s’acheter à manger, raconte Boubou. Je l’ai appelé au téléphone, il m’a dit qu’il revenait dans cinq minutes. Il y avait 600 mètres à faire. Saidou est tombé sur des jeunes des Bergeries. Ils ont brisé les vitres de la voiture dans laquelle il était et l’ont poignardé. Il est mort au bout de 300 mètres. » Saidou s’effondre sur une pelouse, mortellement touché par arme blanche au dos. Il est minuit et quart.
« À cause du drame, je n’arrive pas à dormir, poursuit Boubou. De ma fenêtre, j’ai vue sur l’endroit où il est décédé, mais je n’arrive pas à regarder dans cette direction. » Comme à chaque rixe entre bandes, les esprits survoltés ont immédiatement suggéré une vengeance. Boubou a freiné leurs ardeurs. « Le samedi suivant, il y avait un dîner à la maison de quartier. J’ai dit aux jeunes : ça ne sert à rien de se venger. S’il vous plaît, laissez la justice faire son travail. Je ne veux pas voir une goutte de sang versée à cause de la mort de Saidou. »
Le frère de Saidou en détention après un « match retour »
L’enquête a été confiée à la police judiciaire de Versailles (Yvelines). Une reconstitution a récemment eu lieu. Selon nos informations, trois jeunes âgés de 22 à 26 ans sont actuellement détenus dans le cadre de cette affaire, qui pourrait être clôturée prochainement. Et ce alors que le grand frère de Saidou, Mamadou N., 31 ans, a été mis en examen pour « tentative de meurtre » et placé en détention provisoire pour ce « match retour ». Selon une source proche du dossier, le 11 septembre 2020, il aurait tenté de venger la mort de son petit frère en attaquant « Big Paul »une figure du quartier des Bergeries.
« Nous avons sollicité la jonction des deux procédures, réagit Maître Sarah Mauger-Poliak, l’avocate de la famille N. Il ne nous paraît pas possible d’appréhender le dossier dans sa globalité sans disposer de l’intégralité des deux volets. »
Saidou est le premier d’une série d’adolescents à avoir trouvé la mort dans une rixe entre bandes ces dernières années en Essonne. Après lui ont suivi Toumani, LilibelleArthur et Lucas. « On en a très peu parlé car c’était le premier, souligne Boubou. Lorsque le drame est arrivé, c’est la première fois que j’entendais parler des rixes. Je voulais quitter le quartier. Je cherche toujours à partir, d’ailleurs. On m’a proposé d’aller à Massy. Mais une semaine avant la mort de mon fils, il y a eu un mort dans une rixe là-bas (un jeune de 20 ans poignardé et tué par balles). Saidou adorait les Mazières. Il me disait que c’était calme, tranquille, qu’il n’y avait pas de problèmes. Son nom sur Facebook, c’était Saidou des Mazières. »
Le samedi 4 mars, Boubou a pris la parole en public lors du lancement, à Vigneux-sur-Seine, de l’association « Quartiers sans violence », dans laquelle il s’est engagé contre les rixes. « Son discours a touché l’assemblée, qui avait les larmes aux yeux, confie une maman présente ce soir-là. Même les jeunes y ont été sensibles. »
Malgré les appels au calme depuis l’été 2020, plusieurs rixes — dont certaines aux graves conséquences — ont à nouveau eu lieu dans le secteur. Un jeune de 20 ans a été percuté violemment par une voiture aux Bergeries en avril 2022. « Ça me fait mal de le savoir, réagit Boubou. Cette guerre des territoires dure depuis quinze ou vingt ans. Aller se bagarrer, ça sert à quoi ? Laisser d’autres parents dans la misère ? Ça ne me ramènera pas Saidou. » Boubou n’attend désormais plus qu’une chose : que « justice soit rendue » à son fils.
L’association est joignable par mail (quartierssansviolences@gmail.com) ou sur Instagram (@quartiers_sans_violences).