« L’accusation a requis une peine de 18 ans à exécuter en régime sévère », a déclaré ce vendredi 19 juillet la porte-parole du tribunal d’Ekaterinbourg, Ekaterina Maslennikova, à propos du journaliste américain Evan Gershkovicharrêté fin mars en Russie et accusé d’espionnage. Le verdict est attendu à 14 heures, heure de Paris, actant la fin des débats à huis clos express et ouvrant la voie à une condamnation prochaine, condition préalable à un possible échange de prisonniers avec Washington.
Ce reporter connu pour son professionnalisme avait été arrêté fin mars 2023en reportage à Ekaterinbourg (Oural), pour « espionnage », accusation que la Russie n’a jamais étayée et que lui, sa famille, ses proches et la Maison Blanche rejettent. « Demain, l’audience aura lieu à 10h30 (7h30 à Paris), il y aura les plaidoiries finales », a indiqué à l’AFP Ekaterina Maslennikova, porte-parole du tribunal régional Sverdlosvki d’Ekaterinbourg, où le reporter est jugé.
Détenu depuis presque 16 mois
C’est à l’issue des plaidoiries que le procureur doit prononcer son réquisitoire. Evan Gershkovich risque jusqu’à 20 ans de prison. Le verdict peut être annoncé dans la foulée, dès vendredi, ou à une date ultérieure.
Correspondant du le journal Wall Street et ancien journaliste du bureau de l’AFP à Moscou, il est détenu en Russie depuis presque 16 mois. Le quotidien américain n’a cessé de défendre son journaliste et propose sur X « des ressources à ceux qui souhaitent lui montrer leur soutien ».
L’audience de jeudi n’était que la deuxième depuis l’ouverture le 26 juin de son procès, qui se tient entièrement à huis clos, toute la procédure étant placée sous le sceau du secret. Cette deuxième audience, prévue initialement en août, avait été avancée à la demande de la défense. Contrairement à la fois précédente, les journalistes n’ont pas pu voir l’accusé dans la salle avant le début des débats.
L’agence de presse Ria Novosti a toutefois affirmé qu’un élu local, Viatcheslav Vegner, avait été entendu jeudi, car il aurait été interviewé par Evan Gershkovich avant son arrestation en mars 2023. Une journaliste de l’AFP présente sur place a vu ce député du parlement régional au tribunal.
En échange avec Vadim Krassikov ?
Pour Washington, l’arrestation d’Evan Gershkovich, 32 ans, vise avant tout à monnayer un possible échange de prisonniers. Moscou a admis négocier sa libération et le président russe Vladimir Poutine a évoqué lui-même le cas de Vadim Krassikoven prison à Berlin pour un assassinat commandité attribué aux services spéciaux russes.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov s’est borné à dire mercredi, depuis le siège de l’ONU à New York, que des contacts étaient en cours « pour voir s’il est possible d’échanger quelqu’un contre quelqu’un », selon l’agence d’État russe TASS.
L’emprisonnement Evan Gershkovich a suscité une importante vague de solidarité au sein de médias américains et européens. Fin juin, la Maison Blanche a dénoncé un « simulacre » de procès, répétant que le journaliste n’avait « jamais travaillé pour le gouvernement » américain, n’était « pas un espion » et « n’aurait jamais dû être arrêté ».
Au premier jour de son procèsle 26 juin, Evan Gershkovich était apparu le crâne rasé, la coupe imposée aux prisonniers, mais toujours souriant dans la cage en verre réservée aux accusés. S’il ne peut faire de déclarations, il avait adressé des signes aux personnes qu’il connaissait. Le journaliste communique avec sa famille et ses amis via des lettres lues et censurées par l’administration pénitentiaire. Dans ces courriers, il dit garder le moral, attendre sa condamnation, vouloir voir le ciel plus souvent, le tout avec des traits d’humour.
Accusé d’avoir espionné une usine d’armement
Le reporter, enfant d’immigrés ayant fui l’URSS pour les États-Unis, s’était installé en Russie en 2017. Début juillet, un panel d’experts de l’ONU a estimé que sa détention était « arbitraire » et qu’il devait être libéré « sans délai ». Les enquêteurs accusent Evan Gershkovich, qui avait travaillé pour l’AFP à Moscou en 2020-2021, d’avoir collecté des informations sensibles pour la CIA sur l’un des principaux fabricants russes d’armements, l’entreprise Ouralvagonzavod.
Cette usine produit notamment des chars T-90 utilisés en Ukraine et ceux de nouvelle génération Armata, alors que son activité civile est la production de wagons de marchandises. La Russie détient plusieurs autres Américains, dont la journaliste russo-américaine Aussi Kurmasheva, arrêtée en 2023 pour une infraction à la loi sur les « agents de l’étranger », et l’ex-Marine Paul Whelan, qui purge une peine de 16 ans de prison pour espionnage, une accusation qu’il conteste.