Les législateurs sénégalais ont voté lundi soir pour reporter l'élection présidentielle de ce mois-ci à décembre, une décision sans précédent qui a suscité l'inquiétude internationale concernant un pays normalement considéré comme un phare de stabilité en Afrique de l'Ouest.
Le projet de loi a été adopté à la quasi-unanimité, avec 105 voix pour et une contre, après que les députés de l'opposition ont été expulsés de force de la chambre.
Cela ouvre la voie au président Macky Sall rester en fonction jusqu'à ce que son successeur soit installé, malgré les inquiétudes croissantes concernant l'érosion de la démocratie.
« La situation est complètement catastrophique, Le Sénégal l'image est ruinée, et je ne pense pas qu'on se relèvera de cette faillite démocratique, de ce tsunami dans le règle de loidans un avenir proche », a déclaré le député de l'opposition Ayib Daffe après le vote.
Auparavant, les forces de sécurité à l’extérieur avaient utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser de petits groupes de manifestants de l’opposition, les manifestants scandant « Macky Sall dictateur ».
L’atmosphère au Sénégal est tendue depuis samedi, lorsque Sall a annoncé le report du vote du 25 février, quelques heures seulement avant le début officiel de la campagne.
« Ne soyons pas une assemblée de honte. Faisons en sorte qu'en sortant d'ici, nous puissions regarder nos enfants avec fierté et dire que nous étions le dernier mur, le dernier rempart », a déclaré le député d'opposition Abass Fall lors du débat sur le report.
Adoptée la veille par une commission préparatoire, la proposition de report des élections a été soutenue par les députés du parti de Sall, qui n'ont pas réussi à se rassembler pleinement autour du successeur préféré du président.
« Le président Macky Sall a déclaré qu’il effectuerait deux mandats. Il a tenu parole », a déclaré le député Moussa Diakhate, président de la commission des lois pro-gouvernementale.
Des violences ont déjà éclaté au Sénégal suite aux craintes que Sall ne tente de prolonger son mandat au-delà de la fin de son deuxième mandat, et il a déjà insisté sur le fait qu’il ne le ferait pas.
« Coup d’État constitutionnel »
Les affrontements sporadiques devant le Parlement ont été un spectacle rare dans le quartier normalement calme du centre-ville de Dakar, où la police et les forces de sécurité appuyées par des véhicules lourds ont été mobilisées pour protéger le Parlement.
Le manifestant Malick Diouf, 37 ans, a déclaré qu'il n'avait pas de candidat préféré et qu'il n'avait même pas de carte d'électeur, mais il a estimé qu'il était crucial de venir manifester.
“L'essentiel pour moi est de dire 'non' à cet agenda politique, à ce coup de force pour tenter de rester au pouvoir”, a-t-il déclaré à l'AFP.
Les dirigeants de l’opposition avaient dénoncé le report proposé comme un « coup d’État constitutionnel » et une attaque contre la démocratie.
De violentes manifestations de rue ont secoué la capitale Dakar dimanche et deux candidats de l'opposition, dont l'ancienne Première ministre Aminata Touré, ont été arrêtés puis relâchés.
Le gouvernement a suspendu lundi l’accès à l’internet mobile, invoquant la diffusion de « messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux.
Il s’agit d’une répétition d’une décision de juin dernier, qui avait vu les données mobiles restreintes dans un contexte de fortes tensions dans le pays.
Cette mesure est devenue une réponse courante pour freiner la mobilisation et la communication via les réseaux sociaux.
La démocratie en danger
Le Sénégal n’a jamais connu de coup d’État depuis son indépendance de la France en 1960, ce qui en fait une rare exception en Afrique de l’Ouest frappée par un coup d’État.
Le report proposé a suscité l'inquiétude de la communauté internationale, les États-Unis, l'Union européenne et la France appelant tous à un report des élections le plus tôt possible.
Le président de la commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat a également exhorté le Sénégal à résoudre son « différend politique par la consultation, la compréhension et le dialogue ».
Human Rights Watch a averti que le Sénégal risquait de perdre sa crédibilité démocratique.
« Le Sénégal a longtemps été considéré comme un phare de la démocratie dans la région. C’est désormais en danger », a-t-il déclaré dans un communiqué.
« Les autorités doivent agir pour prévenir la violence, maîtriser les abus des forces de sécurité et mettre fin à leurs attaques contre l’opposition et les médias. Ils doivent respecter la liberté d’expression, d’expression et de réunion, et restaurer Internet, remettant ainsi le Sénégal sur la voie de la démocratie.
La crise fait craindre des troubles violents du type de ceux qui ont éclaté en mars 2021 et juin 2023, qui ont fait des dizaines de morts et des centaines d’arrestations.
Les tensions étaient montées en flèche suite aux spéculations selon lesquelles Sall envisageait de briguer un troisième mandat, jusqu'à ce qu'il finisse par confirmer en juillet dernier qu'il ne se représenterait pas.
Aujourd'hui, l'opposition soupçonne que ce report fait partie d'un plan du camp présidentiel visant à éviter la défaite, voire à prolonger le mandat de Sall, bien que celui-ci ait déclaré qu'il ne se représenterait pas.
Sall a désigné le Premier ministre Amadou Ba comme son successeur potentiel.
Cependant, le parti au pouvoir étant divisé sur sa candidature, il risquait d'être battu aux urnes.
Sall a déclaré samedi qu'il avait retardé le vote en raison d'un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel sur le rejet des candidats.
(AFP)