Le coup d’État au Niger est le dernier d’une série de coups d’État militaires en Afrique de l’Ouest qui ont renversé les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée. Le bouleversement politique qui a suivi a provoqué des tensions dans toute la région et au-delà, notamment avec l’ancienne puissance coloniale française. FRANCE 24 s’entretient avec l’expert régional Gilles Yabi, fondateur et PDG du groupe de réflexion ouest-africain WATHI, pour mettre les retombées en contexte.
Une semaine depuis qu’un coup d’État militaire a renversé Nigerle président Mohamed Bazoum, la situation reste incertaine. La montée des tensions entre les manifestants soutenant la junte et ceux soutenant le président déchu a causé France pour commencer évacuer ses citoyens le 1er août.
Niger est le quatrième pays d’Afrique de l’Ouest en trois ans à voir son gouvernement renversé par l’armée. bouleversements politiques en Mali, Burkina Fasola Guinée et le Niger s’est déroulée sur fond de wpauvreté généralisée. Le long de leurs frontières communes, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont également confrontés à menace aiguë pour la sécurité des groupes terroristes djihadistes envahissants.
La France a une longue histoire dans Afrique de l’Ouestoù c’était une puissance coloniale jusqu’en 1960. Depuis l’indépendance, la France a maintenu des relations commerciales et une présence militaire dans la région, qui ont causé des tensions de longue durée qui semblent maintenant atteindre de nouveaux sommets.
Les troupes françaises se sont retirées du Mali en 2022 et Burkina Faso en 2023 à la suite de coups d’État militaires. Un nouveau leadership au Niger pourrait conduire à un nouveau retrait d’un pays que la France considérait comme un allié clé au Sahel.
FRANCE 24 s’est entretenu avec Gilles Yabi, fondateur et PDG du groupe de réflexion ouest-africain WATHI, pour mieux comprendre les raisons des coups d’État militaires et pourquoi ils ont reçu un tel soutien de la part de certaines populations locales.
Au Niger – comme au Burkina Faso et au Mali – des manifestants sont descendus dans la rue pour montrer leur soutien au coup d’État militaire qui a chassé le président élu Mohamed Bazoum du pouvoir. Est-ce un rejet du processus démocratique ?
Les motivations des manifestants sont diverses. On sait qu’à Niamey [Niger’s capital city] il y a une forte opposition à Bazoum, et sans doute encore plus à son parti, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), au pouvoir depuis 12 ans.
Certains ont rejoint les manifestations pour montrer leur opposition, plutôt que par soutien à l’idée d’un coup d’État militaire. D’autres sont probablement sincèrement convaincus qu’un coup d’État militaire est bénéfique pour le pays. Il faut noter aussi que d’autres Nigériens ont manifesté en soutien au président, mais ont été rapidement dispersés par les forces de sécurité.
On peut se demander s’il y a une critique de la démocratie, car pour critiquer un système, ce système doit avoir été effectivement mis en œuvre. Sinon, c’est la non-application du concept, plutôt que le concept lui-même, qui pose problème.
Toutes les constitutions ouest-africaines sont démocratiques, mais nous savons qu’en réalité elles ne reflètent pas la pratique politique réelle. Il y a des critiques légitimes sur le manque d’élections crédibles, l’utilisation de procédures légales pour éliminer l’opposition, l’ampleur des la corruption et les écarts de richesse. Mais ils ne remettent pas en cause le principe de base de la démocratie, qui est d’avoir des gouvernements choisis par le peuple – quoi qu’il en soit – qui travaillent pour le peuple.
Le lourd tribut que nous payons aujourd’hui est, selon moi, l’échec de la construction d’États solides dotés d’institutions efficaces depuis l’indépendance [from French colonial rule].
Les échecs de la gouvernance servent de justification à la prise du pouvoir par l’armée, et cette croyance est reprise par certains membres du public. Quand vous avez un pays au bord de l’effondrement de la sécurité sous un gouvernement démocratique – comme ce fut le cas au Burkina Faso – vous pouvez voir pourquoi une partie importante de la population soutient l’armée, qui a promis de rétablir la sécurité.
Mais les militaires ne sont pas formés pour gérer des pays et rien ne garantit qu’ils seront de meilleurs représentants des intérêts du peuple qu’un citoyen élu. La réalité est que l’armée prend le pouvoir par la force, qu’elle est censée utiliser pour défendre le territoire du pays.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a annoncé des sanctions sévères contre les meneurs du coup d’État au Niger, mais la Guinée, le Mali et le Burkina Faso – tous membres de la CEDEAO – ont refusé de les appliquer et ont mis en garde contre toute intervention militaire. Assiste-t-on à un conflit idéologique entre deux blocs ouest-africains ?
Il y a une fragmentation en Afrique de l’Ouest qui menace la cohésion régionale. D’un côté, il y a ceux qui veulent un changement fondamental dans la politique nationale, même si cela passe par une prise de pouvoir militaire. D’autres pensent que, même si la gouvernance civile et démocratique est dysfonctionnelle, l’armée n’est pas la solution.
En toile de fond de ce conflit idéologique, il y a aussi les relations entre les pays d’Afrique de l’Ouest et le reste du monde, notamment la France.
Quelle est la meilleure façon de changer la relation avec une ancienne puissance coloniale ? Pour le dire simplement, il y a des partisans à la fois de la méthode douce et de la méthode dure.
Le premier groupe pense qu’il est essentiel de prendre en compte l’environnement géopolitique et économique pour défendre les intérêts africains, accroître l’autonomie et développer des institutions civiles et militaires fortes.
Le second veut voir un changement radical dans les relations avec la France, qui commencerait par le départ de toutes les forces françaises.
Au Niger, il n’y a pas que des forces françaises, mais aussi des soldats américains et européens. Nous ne savons pas encore quelle est la position des putschistes vis-à-vis de ces groupes militaires.
Au Mali, au Burkina Faso et maintenant au Niger, le ressentiment envers la France semble atteindre un point d’ébullition. Quelles en sont les principales raisons ?
Tout d’abord, je pense qu’il faut arrêter de prétendre que les effets de la colonisation n’ont plus d’impact. Ce n’est pas parce que le président français n’est pas né à l’époque coloniale que la domination politique et économique de l’époque ne s’est pas poursuivie à ce jour. L’histoire n’est pas faite d’une suite de périodes étanches qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.
La France doit être claire et reconnaître qu’elle a des intérêts stratégiques dans Afrique de l’Ouest. Celles-ci ont certes diminué avec le temps, mais cela ne change rien au fait que les populations locales se sentent lésées par des accords formels et informels [with France] qui, pensent-ils, doit être revue.
A cet égard, le Niger est un cas symbolique. C’est un pays où la population est majoritairement pauvre, avec peu d’accès à l’électricité en dehors des grandes villes même si, depuis des décennies, il fournit de l’uranium aux centrales nucléaires françaises.
En savoir plus Le coup d’État au Niger menace-t-il les centrales nucléaires en France ?
Ce n’est pas assez [for France] souligner que cette provision a diminué [over time] comme un moyen de rejeter toute mention des inégalités de longue date dans la relation.
Sur le plan militaire, l’argument de la France selon lequel elle maintient une présence uniquement pour aider les pays d’Afrique de l’Ouest a également été largement rejeté. Depuis l’indépendance, la France a maintenu de grandes bases militaires permanentes dans plusieurs de ses anciennes colonies, mais cette présence s’inscrit dans une stratégie d’influence politique.
Il n’y a rien de mal à ce que la France défende ses intérêts – toutes les grandes et moyennes puissances le font – mais elle doit reconnaître qu’elle doit le faire par la discussion et la négociation pour trouver un accord mutuellement bénéfique. Et de retirer cette présence lorsqu’on lui a demandé de le faire.
Il y a l’ajout de personnalités politiques en France faisant des commentaires qui sont perçu comme condescendant sur l’Afrique et les Africains. Cela donne l’impression que les autorités politiques pensent qu’elles peuvent ignorer la sensibilité diplomatique lorsqu’elles traitent avec des pays africains.
En même temps, il faut reconnaître que la France est une cible facile en ce moment. Il n’est pas responsable de tous les problèmes du Niger. A cet égard, consacrer trop de temps et d’énergie à accuser la France est contre-productif.
La France a un rôle à jouer [in West Africa]ainsi que d’autres partenaires tels que Chineles Etats Unis, Inde ou Russie.
L’Afrique de l’Ouest doit tourner le dos aux querelles idéologiques et se concentrer sur ses grands chantiers internes que sont l’éducation, l’économie et le renforcement de nos institutions. En consolidant nos propres fondations, nous pourrons mieux défendre nos propres intérêts à long terme dans un monde où les rapports de force sont décisifs.
Cet article a été adapté du originale en français.