Ne pas céder son corps ni ses choix. Lizelle Herrera Gonzalez a porté plainte jeudi devant un tribunal fédéral du Texascontre des procureurs de l’État qui l’ont poursuivie en 2022 pour « meurtre » après qu’elle a provoqué son avortement pour ne pas mener sa grossesse à terme.
Depuis le 1er septembre 2021, des mois avant que la Cour suprême des États-Unis n’annule la garantie constitutionnelle protégeant l’IVG, l’avortement est interdit au Texas après 6 semaines de grossesse, même en cas d’inceste ou de viol. En théorie, les femmes qui cherchent à avorter sont exemptées de poursuites pénales. Seuls les médecins qui pratiquent l’IVG et les personnes qui les aident ou les encouragent encourent jusqu’à 99 ans de prison. Une prime à la délation, pouvant s’élever à 10 000 dollars, est même offerte à tout citoyen qui participera à cette vaste entreprise d’apurement de pratiques illégales. Certaines femmes, dont le fœtus présentait une malformation ou était touché par une trisomie, ont été empêchées par la justice d’obtenir une IVG.
Pilule de misoprostol
En avril 2022, Lizelle Herrera Gonzalez, alors âgée de 26 ans, était enceinte de 19 semaines lorsqu’elle a utilisé du misoprostol, l’un des deux médicaments utilisés dans les avortements médicamenteux. Le misoprostol est également utilisé pour traiter les ulcères d’estomac. Après avoir pris cette pilule, la jeune femme a subi un examen obstétrical à l’hôpital et est sortie avec des douleurs abdominales. Le lendemain, elle est revenue avec des saignements et l’examen n’a révélé aucun battement de cœur fœtal. Les médecins ont alors pratiqué une césarienne pour l’accoucher d’un bébé mort-né. L’hôpital aurait, selon les documents judiciaires joints à la plainte jeudi, signalé l’avortement volontaire au bureau du procureur du comté de Starr, qui a ensuite accusé cette femme de meurtre, alors même que la loi ne le prévoit pas, et d’avortement volontaire.
Dans un pays où les procureurs sont élus par la population, sur la base de programmes politisés, l’affaire sonnait comme un avertissement à toutes les femmes qui osaient défier la loi.
Gonzalez a été interpellée et placée en détention pendant deux jours et deux nuits puis libérée sous caution avant que les poursuites ne soient abandonnées, grâce à la mobilisation de collectifs et d’associations de défense de droits.
Le procureur a reconnu avoir su, avant le début des poursuites, qu’elles étaient illégales
La plainte vise le comté de Starr, proche de la frontière avec le Mexique, où s’est déroulée l’affaire, le procureur de district Gocha Ramirez et son adjointe Alexandria Lynn Barrera. Dans son action en justice, Lizelle Herrera Gonzalez affirme que l’arrestation et l’inculpation lui ont causé un préjudice de réputation – son nom ayant été révélé par les autorités – et une détresse morale ; elle cherche à « faire valoir ses droits, mais aussi à demander des comptes aux fonctionnaires qui les ont violés ». Cecilia Garza, son avocate, réclame un million de dollars de dommages et intérêts. « Les conséquences des actions illégales et inconstitutionnelles des défendeurs ont changé à jamais la vie de la plaignante », affirment les documents judiciaires.
Le procureur Gocha Ramirez a déclaré vendredi qu’il n’avait pas encore reçu de plainte et a refusé de commenter. Le juge du comté de Starr, Eloy Vera, le plus haut élu du comté, a également refusé de commenter.
Il y a quelques semaines, Gocha Ramirez a accepté de payer une amende de 1 250 dollars dans le cadre d’un accord conclu avec le barreau de l’État du Texas pour avoir engagé à tort les poursuites pénales contre Lizelle. L’enquête du barreau a révélé que Ramirez avait autorisé son adjointe à porter l’affaire devant un grand jury et qu’il avait menti lorsqu’il avait affirmé ne pas être au courant des accusations avant qu’elles ne soient déposées devant la juridiction du comté. Le procureur a aussi accepté une suspension avec sursis de sa licence d’avocat, d’une durée d’un an commençant lundi 1er avril.