« Au fond, la visibilité est nulle mais c’est comme ça 75 à 80 % du temps », résume Jonathan Letuppe habitué aux caprices du fleuve Charente. Responsable du service de plongée scientifique d’Éveha, un bureau d’études archéologiques privé, cet archéologue vient d’entamer avec son équipe, ce lundi 2 septembre 2024, la huitième campagne de fouilles subaquatiques de deux épaves gallo-romaines découvertes en 2008 entre Saintes et Fontcouverte (Charente-Maritime).
Longues de 18,50 m et enfouies à près de 8 m de profondeur, ces deux embarcations en bois de chêne ont été découvertes en 2008 et font l’objet de toutes les attentions depuis 2015, date des premières explorations scientifiques. Bâties entre le IIIe et le IVe siècle, ces épaves pourraient rebattre les cartes et livrer des connaissances inédites. Leur construction, dite « à carvel », était jusque-là bien connue en Méditerranée durant la période antique. Mais aucune embarcation de ce type n’avait encore été identifiée sur la façade Atlantique jusqu’à cette découverte fortuite – les méthodes de construction navale étaient alors différentes d’une région à une autre.
Une des épaves pourrait être démontée pour être renflouée
Autre mystère : ces épaves sont-elles de type militaire ou commercial ? D’ici à la mi-octobre, Jonathan Letuppe espère enfin résoudre cette énigme. Cette nouvelle campagne consiste en effet à sonder ce qui se cache sous l’épave n° 1, « la plus dégradée », explique l’archéologue : « C’est la première fois qu’on attaque le fond. Deux personnes plongeront simultanément. Deux aspirateurs nous permettront de tamiser les sédiments en surface. Peut-être trouverons-nous des systèmes d’aménagement ou du matériel de vie à l’intérieur de l’épave, des rames, des armes, des céramiques ou des monnaies ! »
Pour y parvenir, jusqu’à huit plongeurs se relaieront sur place « avec des lumières dans tous les sens, des plans immergeables et un système de cordes de couleurs différentes » pour se repérer sous l’eau. Des carottages seront aussi effectués sur les berges et dans le lit du fleuve Charente pour mieux comprendre le site. « Nous ne savons toujours pas pourquoi ces épaves sont là », rappelle Jonathan Letuppe.
L’épave n° 2 pourrait, elle, être « démontée morceau par morceau » et renflouée intégralement pour assurer sa conservation. Le département de la Charente-Maritime et la DRAC Nouvelle-Aquitaine chiffrent actuellement le coût de ce projet et pourraient donner leur feu vert dans les prochains mois. C’est que le temps presse désormais. « Les bois dépassaient de quelques centimètres lors de la découverte des épaves en 2008. Certains sortent désormais du lit sur près de 70 cm. Les troncs d’arbres, les déchets et même un essieu de tracteur charriés par le fleuve les abîment… Toute une flore invasive a aussi fait leur apparition », précise Jonathan Letuppe.