Un ado de 15 ans, recruté comme homme de main d’une grosse équipe, retrouvé poignardé à de multiples reprises, brûlé vif, puis son corps abandonné dans une poubelle. Un père de famille de 37 ans, chauffeur de VTC, sans aucun lien avec le trafic de droguetué d’une balle à l’arrière de la tête. Sur le papier, ces deux victimes n’ont aucun point commun.
Sauf celui d’avoir succombé à Marseille (Bouches-du-Rhône) la semaine dernière à la violence liée à la guerre des clans sans merci qui oppose la DZ Mafia au clan Ahamada, dit « clan des Blacks », du nom d’une fratrie de caïds d’origine comorienne. Les règlements de compte et drames collatéraux qui en découlent sont d’ « une sauvagerie inédite »a déploré dimanche le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone.
Le premier clan revendique depuis la crise du Covid l’hégémonie sur le trafic de drogue à Marseille. Le second tente de récupérer sa puissance sur le marché des stupéfiants depuis la libération de prison de ses deux patrons.
Le Clan des blacks, c’est d’abord Djoussouf Ahamada, 49 ans, dit « Sénateur », considéré comme « le chef historique » de cette équipe qui blanchirait ses revenus via le pays d’origine de ses cofondateurs, les Comores. À ses côtés, son cadet, Oukoutoub, 35 ans, surnommé « Beur ». Tous deux ont développé une équipe à l’organisation « très clanique », « très bien structurée et hiérarchisée », note une source policière.
Sénateur et Beur se font connaître en 2008 quand commence une guerre dramatique avec une autre fratrie, d’anciens copains des cités du XIIIe arrondissement de Marseille, les frères François et Nicolas Bengler, à la tête du « Clan des gitans ».
« Ce n’est pas une petite entreprise familiale »
« Leur opposition a marqué le commencement de cette interminable série de règlements de comptes que connaît Marseille, affirmait un haut fonctionnaire au Parisien en 2016. Tout a débuté avec la tuerie de Sainte-Marthe. » Ce jour-là, le 27 janvier 2009, cinq hommes, proches des frères Bengler, tombent sous le feu nourri de plusieurs tireurs, armés de kalachnikov. Trois victimes ne s’en relèveront pas, tandis que deux autres sont grièvement blessées. À compter de cette époque, Marseille compte ses morts, tant dans un camp que dans l’autre, des victimes souvent abattues à l’arme lourde en pleine rue.
Jusqu’en mai 2015. Un matin, une vaste opération de police réveille alors la cité des Lauriers : 300 policiers sont mobilisés, plusieurs centaines de milliers d’euros en liquide saisis, 30 kg de cannabis découverts et 24 personnes sont interpellées. Parmi ces dernières, Sénateur et Beur. Deux ans plus tard, devant le tribunal correctionnel de Marseille, les deux frères seront respectivement condamnés à 12 et 10 ans de détention pour le trafic de stupéfiants des Lauriers. Leurs lieutenants écoperont de 4 à 8 ans. Selon la vice-procureure, citée par la Provence qui avait assisté à l’audience, ce seul trafic tenu par les Ahamada aux Lauriers générait jusqu’à 15 millions d’euros par an.
« Ici, chez les Ahamada, on joue dans la cour des grands, avait tonné la magistrate au cours de l’audience. Le réseau des Lauriers, ce n’est pas une petite entreprise familiale. On est dans une logique entrepreneuriale avec division du travail et maximisation des profits. »
« Aucun des frères n’a été condamné pour des faits de règlements de compte »
Mais les frères Ahamada n’ont jamais été mis en cause dans les homicides en série que leur commerce génère. Selon une source policière, dotée de « moyens humains conséquents », la fratrie du clan des Blacks « parvient à se protéger en restant éloignée, raison pour laquelle aucun des frères n’a été condamné pour des faits de règlements de compte ». Un de leur proche, considéré par les policiers comme une gâchette du groupe, est en revanche mis en examen pour sa participation au meurtre d’un trafiquant, à Aubagne en juin 2022. Un meurtre commandité, selon les juges d’instruction marseillais, par Mohamed Amra, l’évadé du péage d’Incarville.
Selon une source proche du dossier, c’est la récente sortie de prison des « têtes pensantes » du clan des Blacks qui pourrait avoir réactivé la violence. Si « Beur » a été libéré en novembre 2022 et « se fait discret depuis sa sortie », son aîné, « Sénateur », « chef historique du clan », sorti de la prison du Pontet (Vaucluse) le 3 mai 2024, pourrait chercher à retrouver sa place. Le nom de plusieurs membres du clan des Blacks apparaît notamment dans une saisie de près de 40 kg de cocaïne réalisée fin août à Nîmes.
Mais selon une source policière, le clan des Black doit maintenant faire avec la « volonté hégémonique de la DZ Mafia » de contrôler le trafic de stupéfiants à Marseille. Ce qui expliquerait la violence de la fin de semaine dernière.
Un détenu, se revendiquant de la DZ Mafia, aurait en effet recruté un garçon de 15 ans sur les réseaux sociaux. En échange de 2000 euros, l’adolescent devait se rendre à la cité Bellevue, tirer sur la porte du logement d’un membre du clan des Blacks avant d’y mettre le feu, le tout en se filmant. Mais il est repéré et finira sauvagement tué ; son corps sera retrouvé dans une poubelle.
Pour venger son décès, le même détenu, un homme de 23 ans, aurait envoyé un autre adolescent de 14 ans tuer un membre des Blacks. Contre 50 000 euros cette fois. Mais la mission échoue à nouveau et c’est le chauffeur du tueur à gages, un père de famille de 37 ans, qui est abattu.