C’est faux. Interpol a été créé pour diffuser des informations afin de faciliter la recherche de criminels présumés tout en empêchant l’abus de ses systèmes par les États membres. Mais la plus haute responsabilité de l’organisation n’est pas vraiment d’aider à attraper les criminels.
La propre Constitution d’Interpol stipule qu’elle doit fonctionner dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui consacre la présomption d’innocence et le droit à la propriété privée. Mais les régimes autoritaires comme la Russie et la Chine abusent souvent d’Interpol pour harceler leurs détracteurs ou pour justifier leur vol d’actifs commerciaux.
Interpol veut éviter tout ce qui conduirait l’un de ses pays membres à démissionner ou à être suspendu, de peur de diluer son influence mondiale. Pour cette raison, il affirme qu’il n’y a aucune disposition dans sa Constitution pour suspendre un membre.
C’est techniquement vrai; la disposition de suspension n’est pas dans la Constitution d’Interpol. C’est dans l’article 131 du Règlement d’Interpol sur le traitement des données, qui autorise Interpol à suspendre les droits d’accès de tout État membre pour une durée maximale de trois mois.
De plus, si le Comité exécutif d’Interpol approuve, une nation peut recevoir une “suspension à long terme”. Malheureusement, ce comité est actuellement dominé par les autocraties et les abuseurs d’Interpol. Il est peu probable que les Émirats arabes unis, la Chine, l’Égypte et la Turquie votent pour suspendre l’un de leurs camarades coupables d’abus.
La défense d’Interpol pour son inaction – une défense régulièrement réitérée par son secrétaire général, Jürgen Stock – est qu’Interpol a été fondée sur la neutralité et sur la coopération apolitique contre les crimes de droit commun : des délits comme le meurtre, le viol et le vol qualifié.
Mais pratiquer la neutralité ne signifie pas ignorer les abus systémiques. Interpol permet régulièrement que de fausses allégations de fraude ou de fausses allégations de crimes ordinaires soient utilisées pour attaquer des opposants politiques ou commerciaux.
Stock a soutenu qu’il y avait pas d’arbitrage entre offrir « l’entraide la plus large possible » à la police et la neutralité d’Interpol.
Mais quand les policiers sont les criminels, il y a bien un compromis. Des régimes comme la Russie et la Chine ne reconnaissent pas la distinction entre les crimes ordinaires et les délits politiques – une distinction sur laquelle se fonde Interpol.
En ignorant cette distinction, Interpol finit par “agir comme un bras d’un régime criminel pour poursuivre ses ennemis”, selon les mots de Bill Browder, le critique de Poutine et la principale cible des abus russes d’Interpol. Le Kremlin a demandé à plusieurs reprises à Interpol d’arrêter Browder, qui a dénoncé la corruption russe, bien qu’Interpol ait rejeté les demandes.
La neutralité d’Interpol sur l’adhésion de la Russie au milieu de la guerre en Ukraine revient à refuser de faire quoi que ce soit qui pourrait être perçu comme une prise de position. Ce n’est pas la neutralité; c’est la cécité. La véritable neutralité signifie appliquer les règles d’Interpol contre tous les arrivants, quelle que soit l’identité ou la réaction du contrevenant.
La vision aveugle d’Interpol de la neutralité n’affecte pas seulement les militants courageux comme Browder. Il menace les États-Unis En 2018, les États-Unis ont demandé et obtenu une notice rouge d’Interpol pour tenter d’appréhender Yevgeny Prigozhin, un copain de Poutine et le fondateur du célèbre mercenaire russe Wagner Group.
Mais en 2020, après qu’une plainte a été déposée par les avocats de Prigozhin, Interpol a retiré l’avis au motif qu’il “aurait des implications négatives importantes pour la neutralité d’Interpol” en le faisant “percevoir comme se rangeant du côté d’un pays contre un autre”.
La vision d’Interpol de la neutralité repose, comme l’affirme Stock, sur la conviction que “s’il y a une activité de l’État, Interpol ne mène aucune activité”. Mais si c’est l’État qui commet les crimes, les efforts d’Interpol pour rester neutre le placent tacitement du côté d’États criminels comme la Russie.
Malheureusement, après avoir pris une position ferme en mars dernier en exigeant la suspension de la Russie, l’administration Biden a fait marche arrière. En août, le département d’État et le procureur général ont publié un rapport qui concluait – au mépris des preuves publiées par Interpol lui-même – qu’il n’y avait eu aucun abus d’Interpol depuis 2019.
Incroyablement, les États-Unis, qui paient la plus grande part des factures d’Interpol, ont maintenant tellement peur de pointer du doigt les agresseurs et de défendre les règles d’Interpol, qu’ils ne peuvent se résoudre à citer les propres rapports nationaux sur les droits de l’homme du département d’État, qui témoignent de la réalité persistante des abus d’Interpol.
Les détracteurs d’Interpol ne sont pas toujours ciblés. L’organisation a raison de résister aux appels, comme un récent du le journal Wall Streetcomité de rédaction, de s’impliquer dans des domaines en dehors des délits ordinaires auxquels elle est restreinte par sa Constitution. Interpol n’est pas censé poursuivre les infractions à « caractère militaire », même celles qui sont aussi bien documentées et massives que les violations des droits de l’homme par la Russie et la commission de crimes de guerre en Ukraine.
La question n’est pas de savoir si la Russie a tort en Ukraine. La Russie a tort et la Russie devrait être tenue responsable. Mais Interpol n’est pas le bon outil à utiliser à cette fin.
Interpol a déjà suffisamment de mal à empêcher les abus de ses systèmes. S’il s’implique à la demande des combattants dans la poursuite des crimes de guerre, il sera confronté à une politisation galopante. Ceux qui s’inquiètent de la politisation d’Interpol par la Russie ne devraient pas répondre en exhortant Interpol à enfreindre ses propres règles.
En même temps, il existe une bonne manière d’impliquer Interpol dans ce combat. La communauté internationale pourrait établir un tribunal pour juger les Russes pour des infractions liées au génocide, aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre. Le tribunal pourrait alors entrer en coopération avec Interpol et faire des demandes pour localiser et détenir des suspects.
C’est la procédure mise en place en 2010 par l’Assemblée générale d’Interpol, qui vise à éviter qu’Interpol ne se transforme en juge des revendications rivales des combattants en guerre. La récente désignation de la Russie comme État terroriste par le Parlement européen est une étape importante dans ce processus.
En attendant la création d’un tribunal international, Interpol a beaucoup de travail à faire. Surtout, il doit cesser de dire des demi-vérités sur ses règles, abandonner sa vision biaisée de la neutralité et commencer à respecter son exigence fondamentale d’appliquer ses propres règles, même si la Russie et la Chine perçoivent cela comme une prise de position.