La santé mentale des maires en alerte. « 31,4 % font face à un début d’épuisement », selon l’analyse de deux chercheurs de l’observatoire Amarok et du laboratoire Entreprendre de l’université de Montpellier (Hérault). Pas moins de 2 220 maires (sur 34 893 en France) ont répondu aux deux collectes de données au premier semestre 2024 pour réaliser ce baromètre inédit, réalisé en partenariat avec l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Le but de l’enquête : « Mesurer pour prévenir le burn-out des maires et se soucier de leur bien-être » écrivent les auteurs, les professeurs Olivier Torrès et Mathieu Le Moal. Leurs chiffres correspondent à un échantillon représentatif des maires de communes de moins de 10 000 habitants.
Si le premier constat est inquiétant, un autre alerte plus encore : 3,48 % des maires « sont en situation d’épuisement sévère », constatent ces chercheurs, ce qui représenterait environ 1 200 maires à l’échelle de l’Hexagone. Une donnée préoccupante, mais proche de ce que l’observatoire Amarok a pu observer par le passé au sujet de l’épuisement des dirigeants de PME. « L’épuisement laisse apparaître un quinté supérieur constitué d’un sentiment de déception, de fatigue, d’impuissance, d’un mauvais sommeil et du sentiment de lassitude (j’en ai marre) », précisent les auteurs.
Isolés face aux démarches administratives
John Billard, maire du Favril (Eure-et-Loir) et secrétaire général de l’AMRF, pointe comme responsables la complexité et la lourdeur administratives : « Les choses se sont compliquées. On le ressent très bien. C’est une grande charge de travail. Cela demande beaucoup de temps et d’implication. » Pour mieux appréhender l’épuisement des élus locaux, les chercheurs ont établi un « stressomètre », pour évaluer l’intensité des difficultés qu’ils rencontrent. Le premier « stresseur » qui les affecte est bien « la complexité et la lourdeur administratives », souligne cette étude.
Pour tenter de répondre à ces inquiétudes, l’élu eurélien milite pour rompre avec l’isolement de certains maires, surtout ruraux. « Si vous avez des difficultés, ou des faiblesses psychologiques, ça peut amener au burn-out. Il ne faut pas rester seul. Il faut se rapprocher d’autres élus pour partager les difficultés et les joies de la réussite, pour partager les expériences », invite le maire.
Victime du burn-out des élus, Victor Provot a démissionné de ses fonctions en janvier 2024 à Thiron-Gardais (Eure-et-Loir), ce qui avait entraîné l’élection de Stéphane Bern comme conseiller municipal dans la commune. Mais l’ancien maire n’avait pas envie d’être une figure aussi publique, et aussi sollicitée : « Que ce soit les citoyens, ou les services, ils ne veulent avoir à faire qu’au maire. C’est perturbant, car tout repose sur la décision d’un seul homme. C’est psychologiquement très lourd », explique celui qui a dirigé son village pendant près de 16 ans. Une charge mentale trop importante pour celui qui avait été élu en 2008, à 25 ans, faisant de lui un des plus jeunes maires de France à l’époque. « Quand on est élu, on l’est 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le bouton off, il n’existe pas. Ça épuise, et j’ai préféré arrêter avant que le corps ne dise stop », témoigne le Percheron, qui dit avoir mis six mois pour se « désintoxiquer » de la fonction.
La satisfaction du projet abouti
Lueur d’espoir dans cette étude : 69,3 % des maires affichent une satisfaction en tant qu’élu. Une surprise alors « qu’on pourrait s’attendre à une insatisfaction plus marquée, au vu des débats publics et des défis auxquels les élus sont confrontés », note le baromètre. Pour les élus de communes de moins de 10 000 habitants, c’est l’accomplissement de projets qui participe le plus à les rendre plus heureux. « L’aboutissement de la réalisation d’un projet, même si ça a été long, même s’il a fallu se battre pour obtenir les choses, c’est vraiment le moment crucial de notre travail de mandat », confirme Victor Provot. Les cérémonies ou célébrations ainsi que la bonne coopération avec l’équipe municipale sont aussi des bouffées d’oxygène pour les élus.
Dans un futur proche, l’Association des maires ruraux de France et l’observatoire Amarok vont mettre en place de manière opérationnelle un dispositif de santé mentale pour tous les maires, « avec un système de dépistage du risque de burn-out ». « En préservant les maires, la République se protège elle-même. Une République mature est une République qui protège ceux qui la servent », conclut l’étude.