Laura (le prénom a été changé) n’a que 16 ans lorsqu’elle croise la route du « prédateur des bois ». Le 4 décembre 1998, elle quitte son lycée de La Rochelle (Charente-Maritime) pour rejoindre son domicile lorsqu’elle est abordée par un automobiliste qui feint de lui demander son chemin. En réalité, il la force à monter dans sa voiture en la menaçant avec un couteau, la conduit dans un bois à une trentaine de kilomètres de là avant de la violer et de s’enfuir en l’abandonnant sur les lieux des sévices.
Près de vingt-cinq ans plus tard, à l’issue d’une enquête minutieuse de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), le violeur présumé a été identifié en la personne de Bruno L., 63 ans. Le suspect a reconnu les cinq viols que la science lui impute pour l’heure, sans pour autant pouvoir expliquer les raisons de sa présence en Charente-Maritime, dont il dit ne pas se souvenir. Il s’agit de la seule agression répertoriée hors région parisienne à ce jour.
Me Fares Aidel est l’avocat de cette victime du « prédateur des bois ». Le pénaliste explique comment sa cliente a accueilli l’arrestation du suspect et quelles sont ses attentes vis-à-vis de la suite de l’instruction.
Quel regard portez-vous sur cette traque qui a duré presque 25 ans ?
Moi FARES AIDEL. En matière judiciaire, le temps joue très souvent contre la résolution des affaires. Il est rarissime d’interpeller un suspect plusieurs dizaines d’années après les faits. Dans cette affaire, l’enquête est hors normes. La piste de ce violeur en série a mobilisé de nombreux services d’enquête partout en France, a obsédé quantité d’enquêteurs et vu se succéder plusieurs juges d’instruction. Toutes les techniques d’investigations possibles, des plus classiques aux plus techniques, ont été éprouvées. Ce résultat est dû à des enquêteurs et des magistrats qui n’ont pas voulu lâcher malgré les impasses et ont tenu à exploiter jusqu’au bout toutes les pistes. Il faut les en féliciter.
Comment qualifieriez-vous le profil criminel du suspect ?
Il est encore trop tôt pour pouvoir répondre précisément à cette question. L’information judiciaire en cours aura notamment pour but de mieux appréhender la personnalité du suspect, son profil et les ressorts des passages à l’acte. Compte tenu de la particularité du mode opératoire, de la gravité des faits et de leur caractère sériel, plusieurs experts psychiatres et psychologues seront notamment chargés d’apporter leurs lumières sur ces sujets. Il sera également important pour les victimes d’obtenir des réponses à ces nombreuses questions.
Au moment de son arrestation, le suspect vivait en région parisienne et menait une vie sociale tout à fait insérée, jusqu’à être impliqué dans la vie politique locale…
C’est vertigineux. Alors qu’il était recherché par tant d’enquêteurs, filmé durant l’enlèvement d’une de ses victimes, que son portrait-robot était nationalement diffusé, que des reportages passaient à la télévision… Cette affaire illustre une fois encore que les individus les plus recherchés ne sont pas toujours les plus dissimulés. Peut-être aussi que, les années s’écoulant, s’amenuisait chez lui la crainte d’être réellement interpellé.
Pensez-vous que le parcours criminel du suspect peut encore révéler d’autres agressions ?
Cette hypothèse ne doit pas être exclue et c’est forcément une préoccupation majeure. Plusieurs éléments interrogent d’emblée à ce sujet : la géographie éparse de commission des faits ou encore leur fréquence dans des délais rapprochés avant que ne s’écoulent plusieurs années sans nouvelles de l’agresseur. Ces éléments devront forcément être examinés à l’aune du parcours personnel et professionnel du suspect. Il faut s’assurer de ne passer à côté d’aucun rapprochement possible avec d’autres affaires en lien qui n’auraient pas été résolues. Qu’elles aient pu intervenir avant ou après les faits connus de la justice jusque-là.
Comment votre cliente a accueilli l’identification et l’arrestation de son agresseur présumé ?
Pendant presque vingt-cinq ans, ma cliente a espéré que son agresseur serait arrêté. La nouvelle de cette arrestation fut un choc terrible et sa vie s’en est de nouveau trouvée complètement bouleversée. Elle veut bien sûr comprendre ce qui peut s’expliquer et entend poser un certain nombre de questions restées jusque-là sans interlocuteur possible.
Qu’attend-elle de la justice désormais ?
Elle attend surtout que son agresseur réponde de ses actes et des immenses souffrances infligées à ses victimes. Viendra ensuite le temps où ces souffrances devront être réparées. Subir cela alors qu’on est une jeune femme de 16 ans, dans ces conditions, c’est tout un monde qui est détruit. Il faut se figurer les terribles traumatismes qui resurgissent régulièrement dans sa vie quotidienne, sur sa santé ainsi que les sphères affective et professionnelle. Ma cliente fait front avec force et est soutenue dans le cadre de suivis psychologique et psychiatrique au long cours.