« Vous êtes convoqué pour répondre de suspicions de malversations. » Cette fois ce n’est pas une escroquerie : policiers et gendarmes ont procédé lundi à un vaste coup de filet en interpellant en France et en Belgique 19 personnes soupçonnées d’escroquerie à la fausse convocation judiciaire. Dix-huit personnes ont été arrêtées en Île-de-France, à Nantes, au Mans, Toulouse, Sens (Yonne), Orléans et Nice et la dernière en Belgique.
Début 2021, une campagne d’hameçonnage (ou phishing) commence à inonder le territoire français. « Vous faites l’objet de poursuites pour pédopornographie », indique l’e-mail envoyé à des milliers de personnes par des hackers – « des brouteurs », dans le jargon des enquêteurs – qui se font passer pour les forces de l’ordre, des magistrats ou des institutions de sécurité comme Europol. Le message précise que si vous ne répondez pas, via une adresse de courriel indiquée, à la convocation, vous tomberez sous le coup de la loi et de l’opprobre.
En cliquant sur le mail, les internautes sont invités, souvent par téléphone, ce qui accrédite le caractère officiel de la réprimande, à payer une forte amende pour « classer l’affaire ». Dont le montant pouvait varier. Les destinataires sont choisis au hasard, des milliers de mails sont envoyés. Un gendarme recevra même un message signé de son propre nom.
Face à la montagne de signalements envoyés aux forces de l’ordre et à la plateforme nationale d’assistance aux victimes, Cybermalveillanceainsi qu’au portail de signalement Pharela section spécialisée dans la cybercriminalité du parquet de Paris avait ouvert une enquête en 10 mars 2021. Ces investigations ont été confiées aux policiers de l’Office central de lutte contre la cybercriminalité (OCLCTIC), aux gendarmes de la section des recherches (SR) de Versailles à ceux du ComCybergend et à la Brigade de recherches de Nice, avec l’appui de l’agence européenne de police Europol.
En février 2022, un journaliste du Parisien avait répondu au message en se prétendant très inquiet. Un certain colonel Marc Jaylet travaillant à la « brigade de renseignement de la protection des mineurs en collaboration avec l’Office européen de police » lui avait proposé deux solutions. Soit l’interpellation, le fichage comme délinquant sexuel et la vindicte populaire, soit payer 4 750 euros d’amende, avec un premier virement de 3 000 euros. Le soi-disant colonel rappelle quelques jours plus tard pour rappeler la menace et mettre la pression. Face à la révélation de notre journaliste, il coupera court.
VIDEO. Fausses convocations judiciaires pour pornographie : notre journaliste a suivi la piste d’un « brouteur »
4 750 euros, parfois bien plus, jusqu’aux économies d’une vie. « Les sommes versées par les victimes vont de moins de 5 000 euros à 150 000 voire 200 000 euros », a expliqué à l’AFP le colonel Thomas Andreu de la section de recherches de Versailles. Le préjudice de cette campagne d’escroqueries est évalué « a minima à 3,5 millions d’euros », a estimé auprès de l’Agence France Presse le commissaire Christophe Durand de l’OCLCTIC. Près de 400 personnes ont déposé plainte et des centaines ne se sont probablement pas fait connaître. La moyenne d’âge des victimes est autour de 60 ans. Six personnes se sont donné la mort « potentiellement en lien avec cette escroquerie », selon le colonel Andreu.
Les enquêteurs ont établi que l’argent escroqué était dépensé en France, mais plus généralement envoyé en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays africains. « Nous pensions que l’escroquerie était pilotée par une structure centrale. En fait, il s’est avéré qu’il s’agissait de plusieurs petites équipes, une dizaine, n’ayant pas de lien entre elles », a poursuivi le colonel Andreu.
Les suspects ont entre 20 et 50 ans. À l’issue de leur garde à vue, quinze d’entre eux ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour être jugés pour accès et maintien dans un système de données, escroquerie et blanchiment d’escroquerie en bande organisée, indique le parquet de Paris dans un communiqué, sans préciser la date de l’audience.