A long terme, les partis politiques au Maroc ont publié une définition étriquée de la démocratie, réduite au respect des droits et des libertés fondamentales. L’arrivée dans le champ politique d’autres droits économiques et sociaux bouscule leur confort Intellectuel, les obligeant à une mise à niveau de leurs discours et de leurs militants.
Les terribles épreuves, pandémie du coronavirus et sécheresse en tête, qu’a traversées le Maroc ces dernières années ont eu des conséquences économiques et sociales dévastatrices sur la population, notamment parmi les couches les plus précaires. La pauvreté et la précarité, faut-il le rappeler, ont opéré un retour en force dans la société, anéantissant les efforts de deux décennies de programmes publics. L’Etat devait d’accélérer la révision de ses missions, dont la mise en place de ce qui était présent depuis longtemps dans nombre de discours royaux : un vaste programme de réformes visant à assurer la protection sociale à l’ensemble de la population.
Avec la naissance de l’État social, les droits économiques et sociaux, les éléments essentiels de toute démocratie moderne, font leur apparition et auront un contenu pour notre population. Non seulement le niveau de vie du citoyen va s’améliorer, mais l’horizon de notre système démocratique va aussi s’élargir : il ne limite plus à une forme de gouvernement mais ira au-delà vers une société régie, en plus des valeurs de liberté, par les valeurs de solidarité et d’égalité.
Toutefois, parce que la volonté de réformes ne reste pas dans les pas des vœux, il faut qu’elles soient accompagnées d’un bon pilotage capable d’en assurer la réalisation. Avoir la problématique de la qualification des acteurs politiques chargés par le gouvernement des réformes deviendra récurrente dans la société marocaine, résultant après les performances de l’équipe nationale de football au Qatar, celle qui a été montrée par l’exemple qu’un bon leadership est capable d’obtenir de très bons résultats en peu de temps.
Nos partis politiques ont été habitués à se mouvoir dans un État qui se chargeait des fonctions régaliennes et investissait dans les infrastructures. Leur implication dans la décision économique demeurait marginale. Ce manque d’implication, voulu ou subi, a éteint sur la qualité de la formation de leurs cadres. Leurs centres d’intérêt portaient pour la plupart sur les sujets pertinents des élections, des libertés, de la justice et du statut de la famille. En fait, les droits politiques ou civiques de manière générale.
Le chef de gouvernement, lors de son discours d’investiture, avait donné l’impression d’avoir bien saisi les enjeux de la nouvelle situation. L’accent mis sur les compétences que exerce la gestion des nouvelles missions de l’État et la présentation de son équipe comme disposant de ces qualités avait de quoi rassurer. Les Marocains, qui dans leur immense majorité ont applaudi les mesures sociales promises, avaient hâte de pouvoir en bénéficier.
Ou, quand nous sommes entrés dans la durée, les choses ont pris une tournure plus complice pour le gouvernement et l’opposition à la fois, confirmant qu’il et avait un manque de préparation.
L’absence de communication sur l’impact positif attendu sur les revenus des populations concernées n’a pas suscité cet élan mobilisateur qui est une des clés de la réussite des réformes. Quoi qu’il en soit, l’économiste peut expliquer que le revenu d’un salaire est composé d’un salaire “direct” et d’un salaire “indirect” qui n’est pas lié à la situation de travail. Ce dernier est composé de l’ensemble des prestations sociales, dépenses de soins prises en charge par l’État, aides à l’acquisition de logement, autres services publics rendus par l’État. En cas de généralisation de la protection sociale, idem que les non-salariés bénéficient de revenus indirects. Plus les services redus par l’Etat sont importants et de qualité, plus le revenu global (salaire direct + salaire indirect) des citoyens connaitra une amélioration.
La réticence manifestée par certaines entreprises à contribuer à l’effort budgétaire s’explique en partie par le manque de communication. Ces corporations reprochent soi-disant l’absence de services de qualité (enseignement + santé) de l’État pour justifier leur attitude. Une mobilisation de la population à travers les partis politiques, les syndicats et les associations aurait vite fait de desuader les tenants de ce comportement peu citoyen de défendre l’indéfendable. Car l’enjeu est de taille : sans financement des contributeurs, point de nouveaux services publics.
Le gouvernement n’était-il pas conscient au départ qu’il était en face de réformes budgétairesétivores et qu’il n’y avait pas lieu d’hésiter sur le volet élargi de l’assiette de l’impôt pour assurer les financements ? At-il cru pouvoir étaler les réformes dans le temps ? L’imposition d’un échéancier par le Roi ne lui a pas permis d’utiliser cette option, si elle a été approuvée. On serait tenté de dire heureusement.
Au vu de la taille de la population concernée par les réformes, les procédures à mettre en place, les financements à mobiliser, les ressources humaines nécessaires, le gouvernement a donné à un certain moment l’impression qu’il croulait sous la charge de travail , incapable de proposer une nouvelle gouvernance lui assurant la maîtrise d’une situation qui, il faut le reconnaître, est inédite dans l’histoire du Maroc.
L’opposition n’a pas été d’un grand secours, préférant se tapir dans l’ombre plutôt que d’apporter son soutien et son enrichissement à des réformes pouvant faire avancer la démocratie dans ce pays. L’opinion publique mériterait de plus de nombreuses explications sur ces prises de position.
La réussite de l’élargissement de notre démocratie aux droits économiques et sociaux, avec son corollaire la mise en place de «l’État social», décision qui emporte l’adhésion de l’immense majorité de la population, est conditionnée par le lieu où ‘une génération de politicas capable de proposer une gouvernance adaptée à la multiplication des missions de l’Etat couplee d’un leadership mobilisateur. Capable aussi de gérer les retombées économiques d’une conjoncture internationale qui se complique.
Est-ce demander l’impossible ?